Se promenant autour de l’étier de Kerboulico en descendant, par exemple, de Moquenhoët vers le nord de cet étier ou autour des marais de Bourgogne, plus accessibles, sur le chemin entre les Fosses et Castel ou le long de la route de Castel, bien malin qui pourrait dire qu’il y eut là, pendant plusieurs siècles, des marais salants ou salines couvrant plusieurs hectares.
ET POURTANT …
Avant d’être reconvertis à partir de 1870 en claires pour l’affinage des huîtres, ces deux importantes zones de marais maritimes par leur superficie (170 hectares environ pour l’étier de Kerboulico et 43 hectares pour les marais de Bourgogne) furent le théâtre d’une très importante exploitation de sel marin qui employa, au cours des siècles, dans différents métiers, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes nécessaires à la production, au transport et à la … surveillance.
Mais sur notre commune du Tour du Parc, des marais salants existaient aussi au nord entre Balanfournis et Caden, ceux de Kermartin. Notre commune, presqu’île dans la Presqu’île, entourée de marais et d’eau de mer, était encerclée par une gigantesque fabrique de sel à ciel ouvert, résultat d’une alchimie naturelle domestiquée par l’homme, combinaison de l’heureux mariage de la MER, du SOLEIL, du VENT, de l’ARGILE et … du SAVOIR – FAIRE DU PALUDIER ! La Nature célébrait leurs noces pour le plus grand profit collectif des hommes qui en tiraient une ressource indispensable et même vitale.
La conservation des aliments
Beaucoup de foyers possédaient ces charniers de terre cuite où l’on conservait la viande de porc salée et qui ne furent détrônés par le congélateur que dans les années 1960-1970. En plus du porc, on salait aussi la viande de bœuf, en particulier pour l’avitaillement des navires bretons et européens. Ainsi parés, ils pouvaient traverser mers et océans. Le sel permettait aussi, à terre, de constituer des réserves pour les temps difficiles.
Les techniques de salaison des poissons sont aussi anciennes que le séchage et le fumage. C’est, au début, tout à fait empiriquement, que l’on constate les vertus du sel. En réduisant le taux d’humidité du poisson, le sel stabilise les bactéries pathogènes en les privant d’eau. Ces usages se répandront avec l’essor des pêcheries et des conserveries. Et l’on salera le hareng (saur), la morue, les anchois, le thon, les sardines à l’huile, le saumon fumé et le haddock.
Sur tout le littoral atlantique, on sale le beurre pour le conserver puis par goût. Le beurre salé « amanenn sall » est toujours préféré, en Bretagne au beurre doux, « amanenn douss ». Pour une autre raison, aussi, que nous verrons plus loin…
On notera, en passant, l’humour d’une Nature, intelligemment maîtrisée par l’homme, qui utilise un produit de la mer pour conserver les poissons qui y vivaient ! Pour l’être humain, le sel est biologiquement indispensable mais son excès ou sa carence est également dommageable à l’organisme …
Puissant agent antiseptique de déshydratation et utilisé déjà par les embaumeurs de l’ancienne Égypte, le sel fut de tous temps très recherché. Et, moyen de pression politique, le sel eut ses « guerres » et ses « blocus » comme celui décidé par Richelieu au moment du siège de La Rochelle (1627-1628). On a du mal à imaginer aujourd’hui que ce sel que nous jetons, l’hiver, sur les routes ait pu engendrer tant de passions, généré tant de bénéfices et fait vivre autant de monde pendant une dizaine de siècles …
Surnommé « L’OR BLANC », il connut son apogée sur notre territoire (et ailleurs) entre le 17ème siècle et le milieu du 19ème siècle et ce fut le 18ème siècle qui marqua l’apogée des salines. On eut alors recours à des maîtres d’œuvre « spécialisés » venus de Hollande (descendants familles Eude – Huermand) ou des Charentes (descendants (Le) Boulicaut).
Les premiers marais ont été aménagés en marais salants sous l’empire romain. Au Moyen-âge, les grandes abbayes en ont créé un grand nombre, l’abbaye bénédictine de Saint-Gildas de Rhuys en particulier. Puis, le développement économique du duché de Bretagne s’est appuyé sur la création de marais salants à partir des 12ème et 13ème siècles, tout autour, évidemment, du château de Suscinio, résidence d’été des ducs depuis 1218. Dans le golfe du Morbihan, les salines les plus anciennes apparaissent donc sur le domaine ducal de la presqu’île de Rhuys, probablement à l’initiative de la duchesse Constance (1161 – 1201) ou de Jean Ier le Roux (1218 – 1286), le duc qui fit enclore en 1245 son domaine derrière les murs de 4 parcs (origine du fameux « mur du Roy »). A partir du 15ème siècle, les salines prolifèrent tout autour du Golfe du Morbihan et entre le milieu du 13ème siècle et le 16ème siècle, les ducs de Bretagne successifs et leurs gouverneurs et officiers ducaux développent cette activité à la fois nécessaire et … très rémunératrice. Les moines de Saint-Gildas et les ducs de Bretagne ont vite compris le profit qu’ils pouvaient en retirer, droits de douane et taxes diverses, à l’instar des rois de France Louis IX (1246) et Philippe VI (1342) qui instaurèrent la gabelle (l’impôt sur le sel) en France.
1417. Création par le duc de Bretagne Jean V.
1953. Devenus propriété du Conseil général en 1997, les salines ont fait l’objet, en 2004 et sur 30 hectares, d’un aménagement visant à la protection et à l’observation des oiseaux (160 espèces).
Construits dès le Moyen-âge, ils furent remis en état à plusieurs reprises. Les moines de l’abbaye Saint-Gildas de Rhuys, propriétaires depuis longtemps de ces marais, engagèrent des travaux de 1698 à 1715, employant jusqu’à 700 ouvriers par jour ! Au début du 18ème siècle, on y trouve 107 œillets.
1870 – 1880. Le sel industriel sonnera le glas des marais salants.
Conversion en claires ostréicoles à partir de 1910.(Élevage de l’huître plate « Ostrea Edulis » mais mortalité massive à partir de 1921). Puis abandon.
Même si l’on trouve trace d’exploitation salicole dès le 15ème siècle, la véritable création date du 17ème siècle par des paludiers guérandais au profit des moines de Saint-Gildas de Rhuys. Des voiliers chargeaient le sel de la presqu’île vers l’Irlande. Les dernières salines furent construites vers 1800.
1920 et dernier sel récolté au début des années 1960 puis parcs d’élevage et bassins de stockage ostréicoles vers 1925 pour les besoins du restaurateur parisien Prunier. Et, enfin, des claires de verdissement pour affiner les huîtres. Après l’acquisition des lieux par le Conseil général en 1978 (100 ha), le paludier, apiculteur et naturaliste, Olivier Chenelle, a exploité, valorisé et promut le site (10 ha) de 2003 à octobre 2015. En 2017, une paludière, Nathalie Krone, a pris sa suite …
15ème siècle. Existait bien avant 1463, date à laquelle cette saline fut concédée par le duc de Bretagne François II à son secrétaire, Jean Maubec, vieil officier ducal, en récompense de ses bons et loyaux services. En 1540, s’y trouvent 75 œillets sur 5 hectares. Puis au 18ème siècle, 120 œillets en 2 parcelles. Longtemps, propriété de la famille Francheville depuis Étienne Francheville vers 1510.
Années 1950. Plus ancienne saline du Golfe du Morbihan et bassin le plus septentrional d’Europe.
30 œillets ont été remis en exploitation en 2016-2017 par ce même paludier, Olivier Chenelle, qui avait remis en état les salines de Saint-Armel.
En 1848, on recensait sur la presqu’île de Rhuys 1700 paludiers produisant presque 1000 tonnes de sel et surveillés et contrôlés par plus de 230 douaniers !
L’exemple du Tour du Parc, très représentatif de l’ensemble de la saliculture en Bretagne et ailleurs, est caractéristique de cette société fondée sur l’exploitation, le commerce du sel et la surveillance des salines qui a concerné 2 lieux d’exploitation principaux (Les marais de Bourgogne et l’étier de Kerboulico) et a généré, au fil du temps, l’existence de 3 métiers très différents mais complémentaires : les paludiers, les sauniers et les … douaniers. Sans compter les propriétaires des salines, les négociants en sel, les entreprises de transport, les éleveurs de chevaux et de mules et … l’État par le biais des taxes perçues ! Une activité économique majeure qui connut son heure de gloire.
Marais totalement enclos dans le « Mur du Roy » érigé en 1250 par le duc Jean Ier le Roux. La date de création connue est 1467 à l’époque du duc de Bretagne François II. En 1510 (Document n°2), s’y trouvent 147 œillets sur 3 propriétés : Toul en Guet, Besquen et Beaumanoir. En 1685, une des salines (60 œillets) appelée le marais du Bouluerh ou Cotorol Tary est vendu devant notaire. Ces marais salants, comme tous les autres d’ailleurs, étaient traditionnellement des terres nobles.
La propriétaire la plus connue fut Marie-Anne de Bourbon (1666-1739), dite Mademoiselle de Blois, fille légitimée de Louis XIV et de Louise de Lavallière, maîtresse du roi, qui avait épousé en 1680 le prince de Conti, mariage sans descendance. Veuve en 1685 et devenue princesse de Conti, Marie-Anne, très endettée, céda tous ses titres, en 1698, à un cousin germain, Charles-François de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière (1670-1739), lieutenant-général, gouverneur du Bourbonnais. Puis, ayant reçu de Louis XIV tout le domaine de Rhuys en 1711, elle le lui céda aussi. Les 43 hectares furent donc vendus en février 1742, « afféagés par le duc de Lavallière aux fins d’y faire du sel » et tous les droits de propriété se trouvèrent désormais entre les mains des nouveaux acquéreurs, « héritiers ou ayants-cause ».
Jusqu’à la Révolution de 1789, il resta dans cette famille. En raison de l’origine royale du titre de propriété, les marais de Bourgogne s’appelèrent longtemps « Marais Bourbon ». Une déclaration d’héritage d’un marais salant nommé justement « Bourbon » est mentionnée en 1775 (Archives Départementales de Nantes). A la Révolution, il fut confisqué comme « bien d’émigrés » (biens confisqués à tous ceux ayant quitté la France depuis novembre 1789) puis comme appartenant à la Couronne de France.
Abandonnées vers 1860, ces salines, déclarées « ruinées » en 1877 furent converties en bassins d’affinage pour les huîtres dès 1875 par les sociétés Tricard et Rouxel, nouveaux propriétaires.
Mais alors, pourquoi s’appellent-ils « les marais de Bourgogne » ? Voici une hypothèse vraisemblable, j’ajoute cependant n’en avoir aucune certitude en l’absence de documents « officiels ». A la fin du 15ème siècle, Anne de Bretagne offrit en récompense, pour services rendus, le titre de lieutenant-général de Bretagne à Jean IV de Chalon, duc de Bourgogne et prince d’Orange, titre agrémenté de quelques seigneuries bretonnes dont Lamballe, Moncontour et … Rhuys ! A l’instauration de la Seconde République, en 1848, on peut imaginer que les nouveaux propriétaires eurent à cœur de renouer avec le passé breton, désireux d’oublier la référence aux Bourbons et à la monarchie …
Date de création des marins salants inconnue mais le Rentier de Rhuys de 1510 (Document n°2) en signale plusieurs : les propriétés Madame (70 œillets) et 20 œillets à Banastère. Plus au nord de l’étier vers Balanfournis, on note aussi la présence des salines de Kermartin (128 œillets). Le lieu-dit « Kermartin » est peut-être l’ancienne désignation de Balanfournis, ce village appelé Bois-Lan-Fournis en 1680.
Les pré-salés et marais salants de cet étier, considérés comme « petit domaine » et « terre vaine » (2ème édit de Moulins, 1566) furent « afféagés » (vendus pour être tenus en fief ou en roture, à charge d’une certaine redevance versée par l’acquéreur) en 1641. En 1712, suite à retentissant procès, ils furent réunis à la Couronne de France et vendus dans le même temps à cette princesse de Conti évoquée précédemment. Elle fut donc propriétaire de tout l’ancien Domaine ducal de Rhuys.
Cet étier, généralement bien protégé, fut cependant durement touché par les ouragans, grandes marées et raz de marée de 1705 et du 1er janvier 1877 (A Bécudo, le rivage reculera de près de 100 mètres !). Les salines y survivront jusqu’à la guerre 1914-1918 qui les privera de la main d’œuvre nécessaire mais elles se maintiendront encore, vaille que vaille, jusqu’au début des années 1960.
L’expression « étier de Kerboulico », invention d’un topographe du 20ème siècle, n’existait pas : on disait les « Marais de Banastère ».
(appelés sauniers au sud de la Loire) exploitent les marais salants.
Lors des grandes marées de fin de printemps (marées de vives eaux à partir d’un coefficient 70), la saline est mise en eau. Cette eau de mer circule alors grâce au principe de gravité puis, parvenant au terme de son parcours dans les œillets, elle s’évapore sous l’effet du soleil et, peu à peu, le sel cristallise. L’autre nom d’un œillet est d’ailleurs le cristallisoir. La teneur en sel par litre d’eau de mer (35 grammes de sel par litre) atteint alors plus de 300 grammes car la température de l’eau saturée en sel peut dépasser 35°. Comme le dit si bien Olivier Chenelle, paludier en activité à Truscat, « c’est juillet qui fait le sel ». La récolte se fait en été (de juin à septembre) : par beau temps, la récolte peut être quotidienne, un œillet pouvant donner jusqu’à 50 kg de sel / jour. A la fin d’une journée de travail, le sel amassé sur les ladures (petits terre-pleins circulaires dans un œillet) est empilé en mulons (tas) sur le trémet (place aménagée sur les talus de la saline pour y stocker le sel après récolte).
Mais l’ennemi mortel du sel est la pluie. Aussi recouvrait-on autrefois les mulons de sel de varech et d’argile (aujourd’hui, de baches). Le paludier récolte, en surface et très délicatement, la fleur de sel grâce à la lousse à fleur. La plupart des paludiers en gardaient autrefois la propriété, elle servait notamment à … saler le beurre ! Quant au gros sel, plus lourd et plus gris, récolté grâce au las, il se dépose au fond de l’œillet pour donner le sel le plus récolté d’une saline.
Les rendements étaient faibles par rapport aux salines du Midi. D’après l’historien Guy de Méringo, 1000 m3 d’eau de mer donnaient 1,3 tonne de sel environ. Dans les très bonnes années, comme en 1863, un œillet pouvait produire 2 tonnes de sel. Mais à cause de la pluie ou du manque de soleil, 1 année sur 10, la récolte était nulle. Des revenus aussi aléatoires, donc, que ceux d’un agriculteur.
D’ailleurs, les salines ayant toujours appartenu aux classes dirigeantes (clergé, noblesse, ducs de Bretagne, rois), le revenu était sans commune mesure avec la valeur d’un produit qui était, par lui-même, un formidable générateur de pouvoir, d’enrichissement économique et de taxes. Les paludiers étaient rémunérés « au quart » soit le quart de la récolte après évaluation de la production et la répartition proportionnelle décidées par un « expert » agréé par le propriétaire. Dans notre région, c’était plus souvent « au tiers » pour maintenir des exploitants que l’extrême modicité des rémunérations détournait de ce métier. « Pour s’attacher leurs paludiers, certains nouveaux détenteurs de salines, par ailleurs grands propriétaires terriens, choisissaient de les considérer comme des ouvriers agricoles, les payant à la journée de travail et les employant l’hiver dans leurs fermes » (Geneviève Delbos).
Les conditions de vie étaient aussi rudes que leurs conditions de travail étaient difficiles car, pour escompter une récolte satisfaisante, il fallait entretenir les marais salants pratiquement toute l’année sans compter sur les désastreux effets du mauvais temps.
(appelés aussi rouliers)
Puis, le sel était exporté pour la vente en utilisant toutes les voies usuelles de communication terrestre et fluviale : routes et chemins, fleuves et rivières. C’est le travail des sauniers (appelés ausssi rouliers) qui le transportent par voie terrestre. Soit par charrettes soit à l’aide de chevaux ou de mules qu’ils chargeaient chacune de 3 sacs de sel de forme allongée. Le nombre de sauniers sur la presqu’île de Rhuys était considérable, le village de Banastère à lui seul en fournissait une vingtaine. Mais écoutons plutôt Adrien Régent (« La presqu’île de Rhuys », 1902) : « Le nombre de sauniers de la presqu’île de Rhuys était considérable et dépassait de beaucoup la centaine : Bodérin, Suscinio, Penvins, Kerbodec, etc. étaient peuplés de sauniers. Le village de Banastère, à lui seul, en fournissait une vingtaine. Un saunier chargeait non seulement ses propres chevaux mais aussi, quelquefois, plusieurs autres appartenant à des personnes incapables de voyager ou bien des sauniers privés de ressources suffisantes. Il n’était pas rare de voir ainsi un seul homme charger 20 bêtes à son compte. Il fallait au moins10 chevaux ou mules pour porter 2 tonnes de sel. Une grande lande environnait la caserne de Belle-Croix, couverte d’une armée de chevaux et de mules errant ça et là ».
Difficile aujourd’hui d’imaginer la baie de Banastère aux 18ème et 19ème siècles : du côté du « Suroît » actuel, se trouvait un PORT d’embarquement des cargaisons de sel avec des pontons, des estacades pour des navires de 40 à 100 tonneaux venus, en longeant les côtes, d’Allemagne du nord, du Danemark occidental, de Norvège et d’ailleurs. « Les populations maritimes des mers du Nord (Scandinaves, néerlandais, écossais, anglais et irlandais) qui possèdent d’énormes ressources en poissons mais sont baignées par des mers à faible salinité et à faible ensoleillement étaient intéressées par la production de sel » (Jacques de Certaines). Banastère, à l’instar de Pénerf et du Golfe du Morbihan, faisait partie des grandes routes maritimes du commerce international. D’ailleurs, si quelqu’un en doute, on trouve à cet endroit le « Chemin des douaniers », la « Rue Port – Au sel » et le « Chemin des sauniers ».
Mais il était exporté aussi par les grandes voies maritimes. On en vendait beaucoup jusqu’en 1850 car les sels étrangers étaient interdits sur le territoire. Par mer, tout d’abord, à destination de pays du nord qui n’ayant pas d’évaporation suffisante avaient extrêmement besoin de sel. De lourdes chaloupes danoises, hollandaises et norvégiennes venaient chercher du sel à Port-Navalo, Conleau, Pénerf et même, oui , à Banastère ! Le chargement durait parfois deux mois et elles repartaient chargés de centaines de sacs de 50 kg de sel. Et là, une chose étonnante mais laissons plutôt parler André Guillo, ancien instituteur du Tour du Parc et historien amateur passionné : « Avant 1967 et le pont, le chenal étroit aux rives pentues délicatement incurvées abondait en galets volumineux et bizarres. Une roche noire aux cassures tranchantes, enrobée dans une gangue crayeuse / DES ROGNONS DE SILEX ; En remontant vers l’étier [de Kerboulico], on constatait que les digues des salines toutes proches étaient protégées par des blocs de pierre blanchâtre évidées et poreuses comme de la pierre meulière.(…) Le pont a fait disparaître la plupart des échantillons de silex. (…) Le rétrécissement du passage modifia les courants de la baie et déplaça le chenal. Il exhuma des amas de galets de silex et entraîna vers le large plusieurs poutres de chêne encore bien conservées : vestiges probables des estacades d’embarquement du sel. » On l’aura compris : « Ces roches de pays calcaire, inconnues dans notre Bretagne granitique, c’était ??? C’était LES LESTS des chaloupes venues de fort loin ».
Mais intervient ici la question centrale de l’exploitation du sel qui va justifier la création du corps des douaniers sous Napoléon Ier : sa FISCALITÉ ! Deux périodes concernant la taxation du sel doivent être distinguées : sous l’Ancien Régime jusqu’en 1791 ET à de 1806 sous Napoléon Ier à 1945.
1. Depuis Louis XI (1246) et Philippe VI (1342), le sel fait l’objet d’un impôt royal appelé gabelle. Il va devenir, avec le temps, l’impôt le plus inégalitaire (car inégalement levé selon les régions) et le plus détesté de l’Ancien Régime. Le découpage d’imposition ordonnée sous Louis XIV par une ordonnance de 1680 exemptera totalement certaines régions françaises pour des raisons différentes et, en particulier, la Bretagne. Elle n’a jamais été un pays de gabelle, ni de grande gabelle ni de petite gabelle (voir carte ci-contre). C’était donc une province franche ou pays de franc-salé. Elle avait été exemptée de gabelle pour deux raisons : c’était une région productrice de sel, cela aurait rendu la contrebande trop facile et, surtout, en raison du statut particulier du duché de Bretagne autrefois souverain jusqu’à son rattachement à la Couronne royale en 1532, statut garanti par une clause de cet Édit royal signé par François Ier (et confirmé la même année par l’édit du Plessis-Macé) : « Nous voulons que les droits et privilèges que ceux du dit pays et duché ont eu par ci-devant soient gardés et observés». Par chance donc, la Bretagne n’a connu ni la taille, ni l’aide ni la gabelle. C’est pour ces raisons que le beurre est salé en Bretagne…
Mais il suffit de regarder attentivement la carte DES gabelles pour comprendre que la tentation était grande de profiter de la proximité de deux provinces françaises, le Maine et l’Anjou, pays de grande gabelle, pour se lancer dans une contrebande aussi dangereuse que lucrative. C’était la contrebande non pas des « vrais » sauniers mais de ceux appelés faux-sauniers. En clair, des sauniers bretons vendaient du sel détaxé à des provinces où il était taxé. À la frontière entre ce qui est aujourd’hui la Mayenne et l’Ille-et-Vilaine, les contrebandiers s’en donnaient à cœur joie. Le manque à gagner pour le Trésor Public était considérable surtout quand on sait que les officiers et les administrateurs chargés de le réprimer pratiquaient eux-mêmes le faux-saunage ! La répression fut très dure : les faux-sauniers étaient punis de peines de galère, de prison, de bannissement ou de mort par pendaison. Un faux-saunier célèbre le paiera de sa vie, on a écrit sur lui une célèbre complainte après sa mort : il s’appelait Mandrin (roué vif en 1755 à Valence !) Mais aussi Jean Chouan, le royaliste vendéen qui donnera son nom à la chouannerie. Quant aux soldats convaincus de complicité de contrebande, ils étaient condamnés aux galères à perpétuité. Pour surveiller tout ce petit monde, on créa donc un corps spécial, les brigades « d’archers ou gardes de la Gabelle », que l’on surnomma vite les « gabelous ». Ce sont les ancêtres des douaniers … La gabelle fut supprimée en 1791 sur tout le territoire national et cette abolition fut saluée par de grandes fêtes populaires …
2. Rétabli sous le Premier Empire en 1806 (les guerres napoléoniennes coûtaient fort cher !) comme impôt de consommation, ce fut, finalement, 15 ans après, la mise à exécution de la loi du 22 août 1791 qui établissait que, désormais, les droits seraient perçus seulement à l’entrée et à la sortie du territoire et non plus de province à province comme sous l’Ancien Régime. C’est pourquoi les régions côtières productrices de sel furent si surveillées.
Qui dit taxe dit fraude ! Pour surveiller, contrôler et verbaliser, il fallut créer un corps des douanes organisé paramilitairement en capitaineries ou en brigades des douanes. Ce corps évoluera pendant un siècle et demi. Sur notre presqu’île, on construisit à tour de bras des casernes (Bellecroix et Banastère vers 1833, Balanfournis, etc.), des postes de douanes tous les 3 kilomètres et des guérites de surveillance (postes de guet) pour chaque saline ou presque.
Les douanes étaient composées de deux corps distincts :
1. La douane du littoral (à pied)
Selon l’importance des salines à surveiller, le nombre de douaniers était différent. Les postes importants (15 à 20 hommes dont un brigadier et deux sous-brigadiers) se trouvaient à Pencadénic, Balanfournis, Banastère et Rouvran. Pendant très longtemps, presque tous les douaniers furent originaires de Normandie pour éviter les collusions et les complicités avec la population locale. Les postes importants avaient jusqu’à 20 hommes, comme à Rouvran, Pencadénic, Balanfournis et Banastère. Chaque saline était gardée et les douaniers se relayaient jour et nuit. La caserne de Bellecroix était la plaque tournante du contrôle du sel et du paiement de l’impôt. L’argent récolté partait le samedi de Bellecroix pour aller à Saint-Armel. On imagine les tentations … Tout le sel produit au Tour-du-Parc transitait par là pour la pesée. C’est là que se trouvaient aussi les « ambulants » à cheval qui contrôlaient tous les marais de Pencadénic à Noyalo.
Le sentier des douaniers, créé en 1791 par l’administration des douanes, permettait d’assurer la protection du littoral, de signaler les évènements en mer, d’organiser les sauvetages et les échouements et d’empêcher la contrebande et l’embarquement des clandestins. Ce fut un espace stratégique de contrôle de la mer pendant un siècle et demi.
Les conditions de vie des douaniers étaient bien peu enviables : discipline sévère, promiscuité dans les casernes, dureté du service en mauvaise saison, relations hostiles avec la population locale et traitement très modique …
2. Les douaniers à cheval, les « ambulants » (tunique verte, pantalon bleu à bandes rouges, bonnet à poils) contrôlaient la circulation du sel sur les routes menant vers l’intérieur (Muzillac, Theix, etc.). Comme ils demandaient souvent quelles marchandises l’on transportait (« Qu’as-tu là ? »), on les surnommait les « Catula » !
Tout cela n’empêchait pas les conflits et la fraude. Un douanier fut assassiné dans les marais de Bécudo côté Banastère, un autre fut attaché à l’aile d’un moulin jusqu’à ce que mort s’ensuive et, au Tour du Parc, sous Louis-Philippe, le préfet du Morbihan Édouard Lorois dut envoyer une compagnie de soldats « pour intimider les habitants qui, réunis en bande, organisaient la fraude à main armée » ! Cela ne s’invente pas !
Cependant, quand les douaniers recrutés furent du même terroir que paludiers et sauniers, une meilleure entente s’installa et les « culs salés » ne virent plus d’inconvénient à fréquenter les « catula ». Il y eut même des mariages entre familles de paludiers-sauniers et familles de douaniers …
LE TOUR DU PARC entre 1840 et 1850
Beaumain, Berthe, Bily, Cavalin, Conan, Dorso, Guillo, Hémon, Jégo, Le Ridant, Legoussard, Leternuec, Mahé, Molgat, Olivier, Picard, Pinpenic, Piro, Quinio, Thomazo.
« Les derniers paludiers du Tour du Parc semblent avoir été les frères Le Nué qui exerçaient encore leur métier vers 1923 à Kerboulico où ils habitaient. Pendant la guerre 39-45, l’exploitation du sel fut reprise par quelques-uns. »
Bléno, Claude Berthe, Guilloux, J. Clair Hémon, Jacques Mahé, Jean-Pierre Dorso, M. Couëdic, Mathurin Olivier Hémon, Michel, Olivier, P. Couëdic.
Les deux derniers sauniers du pays furent Julien Le Digabel (1853-1925), grand-père maternel de l’ancien instituteur André Guillo qui habitait Penvins et transporta le sel de Banastère à Loudéac jusqu’en 1914. L’autre fut François Piro de Banastère décédé en 1944.
Le Bonnec, Béliard, Bily, Coléno, Conan, Cravic, De Méringo, Déloget, Dréno, Groumellec, Guénézan, Landais, Le Blay, Le Blévec, Le Bonnec, Le Groumelec, Le Ridant, Lethiec, Mahé, Michel, Picard, Pierre, Quénézan, Quinio.
Beaucoup de ces familles de douaniers habitent encore dans la commune.
Archives de la paroisse
In « Le Tour-du-Parc à travers l’histoire » de Guy de Méringo.
LES RAISONS DU DÉCLIN
Mais en 1848, COUP DE TONNERRE, la loi du 15 avril, votée par l’Assemblée Nationale, abolit, en partie, la taxe sur le sel et autorisa l’entrée en franchise des sels étrangers, loi exécutoire en janvier 1849.
Cette loi de 1848, en sonnant le glas de cet impôt si détesté, provoqua la disparition progressive mais inéluctable des paludiers, des sauniers et des douaniers de bord de mer. En 1900, les brigades de Banastère et du Tour-du-Parc ne comptaient plus qu’une vingtaine d’hommes dépendant d’Ambon. Les salines perdirent toute leur valeur marchande …et les propriétaires s’en servirent pour entreposer puis élever des coquillages (on y revient aujourd’hui avec l’élevage de palourdes) : de là sont nées les premières claires à huîtres. D’autres marais salants se transformèrent en marais à poissons comme au Duer ou à Ludré.
Le mot « salaire » vient de la mer. En effet, ce mot vient du latin sal. Au Ier siècle après JC, le « salarium » désignait la ration de sel fourni aux soldats romains en plus de leur solde …
Quelques expressions
Article par Jean NÈGRE
E-mail : mairie@letourduparc.fr
Lundi, mardi, mercredi, vendredi : de 8h45 à 12h et de 13h30 à 17h15.
Jeudi : de 8h45 à 12h.